La vie en Vérité

La vie en Vérité

CONFERENCE DE RECONCILIATION NATIONALE DU 26 FEVRIER AU 5 MARS 1998

CONFERENCE DE RECONCILIATION NATIONALE DU 26 FEVRIER AU 5 MARS 1998

 

LE DIAGNOSTIC DE LA BONNE GOUVERNANCE

I. GÉNÉRALITÉS

I.1. Quelques remarques liminaires

Les termes : « Démocratie, Gouvernance, État de Droit etc. » et bien d'autres notions représentent des concepts beaucoup plus complexes qui méritent d'être clairement définis dans le cadre de cette étude. Car comme l'a dit le Doyen Lancine Sylla « Ces concepts qui sont d'origine occidentale et qui portent par conséquent le sceau de la civilisation et de l'histoire occidentales, prennent en Afrique une connotation et une coloration particulières. En sorte que vouloir transposer les schémas occidentaux pour juger de la réalité africaine pourrait nous conduire a commettre de graves erreurs d'appréciation ». (1)

Nous ne partageons pas entièrement ce point de vue de Lacine Sylla pour la simple raison que pendant très longtemps, les dictateurs africains ont réussi à se maintenir au pouvoir en arguant, à titre de justification que les libertés politiques, la gouvernance, la démocratie étaient essentiellement occidentales, importées en Afrique et imposées aux africains par les puissances coloniales au mépris des cultures, des spécificités et des sensibilités africaines. Ces postulats ne les concernaient donc pas.

Nous devons éviter de faire le jeu des dictateurs. C'est pourquoi, nous affirmons avec force que les libertés politiques, l'État de droit, la gouvernance et la démocratie sont bel et bien des valeurs universelles qui transcendent les particularismes politico-culturels des continents et des pays.

Ces libertes politiques, cette démocratie, cette bonne gouvernance qu'on tente actuellement d'implanter sur le continent africain ne sont pas de simples produits importés que l'on peut impunément rejeter, en se prévalant d'une tradition ou d'une authenticité qui serait au dessus de tout. Comme l'a dit YAKEMTCHOUK « Ces notions sont des valeurs universelles, susceptibles certes d'applications différenciées, mais des valeurs universelles quand même ; elles font partie de l'acquis civilisateur des peuples et s'inscrivent dans le patrimoine commun de l'humanité » (2)

 

I.2. Qu'est-ce que la gouvernance ?

La notion de gouvernance est une notion nouvelle dont les contours sont encore mal maîtrisés.

Dans son document de politique générale intitulé : la gouvernance en faveur du développement humain durable, le PNUD a donné une définition consensuelle de la gouvernance qu'il convient de rappeler succinctement ici : la gouvernance est l'exercice de l'autorité économique, politique et administrative en vue de gérer les affaires d'un pays à tous les niveaux. Elle englobe les mécanismes, les processus et les institutions par le biais desquels les citoyens et les groupes expriment leurs intérêts, exercent leurs droits juridiques, assument leurs obligations et auxquels ils s'adressent en vue de régler leurs différends.


La bonne gouvernance se caractérise notamment par:

1 - La Participation c'est-à-dire que tous les hommes et toutes les femmes doivent avoir voix au chapitre en matière de prise de décisions directement ou indirectement par l'intermédiaire des institutione légitimes qui représentent leurs intérêts.

2 - La transparence, qui est fondée sur la libre circulation de l'information.

3 - La responsabilité des décideurs au niveau du gouvernement, des organisations de la société civile rendant des comptes au public.

4 - L' efficacité et l'efficience, c'est-à-dire les processus et les institutions donnent des résultats en fonction des besoins, tout en utilisant au mieux les ressources.

5 - L' équité, c'est-à-dire la justice sociale, égalité de chance.

6 - La primauté du droit : les cadres juridiques devraient être équitables et les textes juridiques appliqués de façon impartiale en particulier les lois relatives aux droits de l'homme.

La bonne gouvernance veille à ce que les priorités politiques, économiques et sociales soient fondées sur un large consensus au niveau de la société et à ce que les voix des plus démunis et des plus vulnérables puissent se faire entendre dans le cadre des prises de décisions relatives a l'allocation des ressources nécessaires au développement.

Ainsi définie, la gouvernance comprend trois dimensions : économique, politique et administrative.

La gouvernance économique recouvre les processus de prise de décisions qui ont une incidence sur les activités économiques du pays et ses relations avec les autres pays. Elle a des répercussions importantes sur l'équité, la pauvreté et la qualité de vie.

La gouvernance politique est le processus de prise de décision concernant l'élaboration des politiques.

La gouvernance administrative est le système de mise en oeuvre des politiques.

La bonne gouvernance qui englobe ces trois dimensions définit le processus et les structures qui guident les relations politiques et socio-économiques.

À la lumière donc des éléments inventoriés ci-dessus, il nous a paru nécessaire de réfléchir à la fois sur les problèmes et les perspectives de la gouvernance en République Centrafricaine.

Problèmes : ceux liés à la crise militaro-politique qui définissent la gouvernance en Centrafrique.

Perspectives : celles liées à la recherche de solutions durables à cette crise, car il faut dépasser le présent, chercher ce qu'il contient pour ce demain auquel les Centrafricains aspirent tous, et cela sans verser dans la prédication.

I. 3 La problématique de la Gouvernance en RCA

Après avoir parcouru les documents reIatifs à la situation politique, économique, sociale et culturelle de la République Centrafricaine, et après avoir discuté avec un bon nombre d'acteurs socio-politiques à des niveaux variés, nos impressions, constats, rétlexions et recommandations peuvent être résumés comme ce qui suit:

1. La République Centrafricaine traverse à l'heure actuelle une grave crise de sa structure socio-économique et de ses institutions politiques. Les causes essentielles de cette crise résident dans la mauvaise gestion des affaires publiques.

2. Si on définit la bonne gouvernance comme étant l'exercice du pouvoir politique, assortie de la gestion et du contrôle des ressources de la société aux fins de développement économique, ce qui implique la transparence, la participation, la responsabilité, l'efficacité, l'équité et la primauté du droit, on peut dire que la bonne gouvernance n'a jamais été pratiquée de façon convaincante en République Centrafricaine.

Au plan macro-éconoinique, force est de constater que malgré la générosité de la nature qui a doté notre pays d'immenses possibilités agricoles, pastorales, minières, halieutiques, forestières et touristiques, la situation économique et financière reste préoccupante à cause du manque de rigueur et de transparence dans la gestion de la chose publique et d'une réelle volonté politique.

Au niveau social et culturel, on assiste à une dégradation prcgressive des conditions socio-culturelles des centrafricains, dégradation qui touche encore plus durement le monde rural tant au niveau de l'éducation que sur le plan de santé, de l'emploi et de l'intégration sociale.

Quant à l'administration centrafricaine, elle est improductive et inopérante. Elle ne fonctionne pas dans le sens que la population centrafricaine attend d'elle. Elle apparaît aujourd'hui comme un véritable carcan coupé de la société à cause d'une part de Ia centralisation excessive de sa structure et d'autre part de la politisation, du népotisme, du tribalisme et du manque de transparence érigés en système de gestion.
Au plan politique, la démocratie pluraliste a d'abord pour finalité de trouver des solutions aux divisions plus ou moins profondes du corps social, de résoudre des problèmes sociaux, économiques, et politiques qui lui sont liés et qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur les conditions d'exercice du pouvoir dans une société donnée.
Dans cette optique, il ne fait aucun doute que la jeune démocratie centrafricaine est malade :

Elle est malade parce que notre système politique n'est pas suffisamment institutionnalisé d'où le comportement peu orthodoxe du clergé, de l'Université, de la bureaucratie, de l'armée, des syndicats, des associations, organisations et des clubs qui agissent comme de véritables partis politiques et utilisent les moyens d'expression dont ils disposent:

a) les travailleurs recourent à la grève
b) les riches recourent à la corruption
c) les militaires recourent aux armes
.

Enfin, notre jeune démocratie est malade parce que nos élites ont confondu démocratie et multipartisme. Pour eux, la pluralité des partis politiques est un gage absolu de la démocratie et constitue une garantie de son bon fonctionnement. Non seulement les partis politiques, à peine nés, ont des ambitions déraisonnables, mais encore leurs leaders veulent tout avoir et tout de suite et ce, au mépris des règls élémentaires du jeu politique.

Ils n'ont pas fait preuve jusqu'à présent de leur capacité de contribuer de façon responsable et constructive à la gestion de la chose publique.

Tels sont de façon synthétique, les problèmes de gouvernance qui ont conduit à la rupture de confiance entre les Gouvernants et les Gouvernés, entre le Pouvoir et l'Opposifion, entre l'Armée et la Société Civile.

En conclusion, ni la présence de la Mission Inter-africaine de Surveillance des Accords de Bangui, ni la venue prochaine des Casques Bleus des Nations Unies, ni la Conférence de Réconciation Nationaie ne pourront apporter une solution miracle ou magique à tous ces problèmes. Elles ne peuvent qu'apporter une accalmie provisoire.

Le fondement d'une paix durable et d'une véritable Réconciliation nationale réside d'abord et avant tout dans la bonne gouvernance, c'est-à-dire dans la gestion saine, transparente, efficace et responsable des affaires publiques, sans aucune exclusion, sinon les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Cette paix ne sera consolidée que si les acteurs socio-politiques (c'est-à-dire le Pouvoir et l'Opposition, la Société Civile et l'Armée) respecteront de façon absolue les règles du jeu politique qu'ils auront eux-mêmes clairement définies en vertu du vieux principe de Pacta sun servanda c'est-à-dire que les engagements librement consentis doivent être respectés.

(1) Lancine Sylla: Tribalisme et démocratie en Afrique - Presse de la fondation nationale de sciences politiques - Paris 1977 p. 22.

(2) YAKEMTCHOUK Romain: Une démocratie pour l'Afrique. Studia Diplomatica Vol XL 14 n°2

 



04/11/2011
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 11 autres membres