La vie en Vérité

La vie en Vérité

La vérité

La vérité - Cours de philosophie

La vérité

 

Les enjeux de la notion – une première définition

 

            Approcher le problème de la vérité suppose en premier lieu de briser l’identification « non philosophique » entre vérité et réalité. Nous avons tendance à juger que ce qui est vrai est ce qui est réel. Pourtant, on ne peut qu’admettre la différence suivante : supposons que je regarde le soleil, je dirai sans hésitation qu’il est réel ; mais quel sens y aurait-il à dire que le soleil est vrai ? Lorsque j’affirme que quelque chose est réel, je ne fais rien d’autre que reconnaître son existence. La vérité semble exiger autre chose qu’une telle reconnaissance. Dans notre exemple, ce n’est pas le soleil lui-même qui peut être dit vrai ou faux mais notre représentation ou notre jugement : si je dis « cela est le soleil » en désignant la lune, alors mon affirmation sera fausse tandis que si je désigne le soleil elle sera vraie. La distinction de la vérité et de la réalité se dévoile encore si l’on reprend un exemple de Descartes : en effet, nous pouvons avoir en notre esprit des représentations qui ne sont qu’imaginaires (ex : la représentation d’une Chimère) donc fausses car ne renvoyant à rien d’existant en dehors d’elles, et qui pourtant ont une certaine réalité en tant qu’elles sont bien des choses dans notre esprit. Ayant ainsi explicité la différence de la vérité et de la réalité, il n’en faut pas pour autant conclure que ces deux concepts sont sans rapports aucun. C’est même autour de la question de ces rapports que s’affrontent les différentes conceptions de la vérité. On peut en effet prendre comme critère de vérité d’un jugement sa conformité avec la réalité. C’est la thèse de la vérité-correspondance. Inversement, on peut penser que la vérité se définit avant tout par la cohérence de la pensée avec elle-même, l’accord qu’elle manifeste entre ses différentes assertions. Étant donné notamment l’abîme ontologique qui sépare une idée d’une chose, la conformité du rapport de la pensée à la réalité ne peut être évalué immédiatement. C’est la thèse de la vérité-cohérence. Les différentes théories de la vérité que nous allons à présent exposer se distribuent assez bien autour de ces deux pôles sans toutefois s’y réduire dans la mesure où elles fournissent chacune des contributions originales qui ne se laisse enfermer dans aucun modèle prédéfini.

La vérité métaphysique

 

« il est absolument nécessaire que Dieu ait en lui-même les idées de tous les êtres qu’il a créés, puisque autrement il n’aurait pas pu les produire, et qu’ainsi il voit tous ces êtres en considérant les perfections qu’il renferme auxquelles ils ont rapport (…) il est certain que l’esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu, supposé que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu’il y a dans lui qui les représente. » Malebranche, De la recherche de la vérité.

 

            Débutons en exposant la conception métaphysique (dogmatique) de la vérité, dont il faut reconnaître qu’elle n’est pas étrangère à la diffusion de la confusion de la vérité et de la réalité. En effet, Platon pense la vérité comme indépendante de la pensée et du discours. Il y a selon lui une réalité vraie qui ne s’oppose pas tant à une « réalité fausse » qu’à une réalité dégradée et aux apparences qui la constituent. Le monde sensible, auquel nous sommes attachés en raison de notre corporéité, est un monde ayant un faible degré de réalité en ce sens qu’il est peuplé de copies des Idées intelligibles. Or ce sont bien ces dernières qui constituent la vérité et cette vérité n’est pas une propriété de la pensée mais bien un autre être, un autre monde, le monde des Idées. Chez Platon, la vérité ne s’accorde pas simplement avec la réalité, c’est elle-même qui est érigée en réalité, absolue, immuable, éternelle. La pensée grecque du logos, en tant que désignant simultanément le discours vrai et l’être ou réalité révélé dans le discours, est à la source d’une telle identification de la vérité et de la réalité chez Platon.

 

            On retrouve une conception analogue dans le christianisme dans lequel est posée l’identité de Dieu et de la vérité (plus encore le dogme même de la Création semble indiquer que toutes les choses sensibles reflètent l’archétype divin). Les réflexions de Descartes et Malebranche sur la nature des idées ne sont pas étrangères à cette conception. Pour Descartes, les idées claires et distinctes, vraies (idées qui sont des créations de Dieu), représentent immédiatement des natures simples, autrement dit des réalités : c’est le cas par exemple de l’idée d’étendue (l’étendue étant constitutive de la réalité matérielle) et de l’idée de pensée (la pensée étant constitutive de la réalité spirituelle). Malebranche quant à lui pense que puisque les idées sont éternelles et immuables, elles ne peuvent résider que dans un être qui possède lui aussi ces prédicats, c’est-à-dire Dieu. L’esprit humain est incapable de faire naître de telles idées par lui-même (seul un orgueil démesuré peut le faire même) ; il ne possède donc pas ces idées ; chaque fois qu’il s’y rapporte, c’est en réalité qu’il les contemple en Dieu ; c’est la célèbre thèse de la vision en Dieu.

Idées, propositions, réalité

 

« La première signification donc de Vrai et de Faux semble avoir tiré son origine des récits ; et l’on a dit vrai un récit quand le fait raconté était réellement arrivé ; faux, quand le fait raconté n’était arrivé nulle part. Plus tard, les Philosophes ont employé le mot pour désigner l’accord d’une idée avec son objet ; ainsi, l’on appelle idée vraie celle qui montre une chose comme elle est en elle-même ; fausse celle qui montre une chose autrement qu’elle n’est en réalité. » Spinoza, Pensées métaphysiques.

 

La nature de l’idée, en tant que représentant formellement une chose qu’elle n’est pas, rattache cependant Descartes et Malebranche à une pensée qui n’est plus celle de l’identité entre vérité et réalité mais celle de la conformité de l’idée à la chose : « aedequatio rei et intellectus » écrit Saint-Thomas. Cette formule a l’avantage de souligner l’écart qui sépare la représentation ou la proposition de la réalité, écart qui leur interdit de se fondre l’une dans l’autre ; ce n’est plus une identité qui est postulée, mais un accord, une correspondance, une adéquation. Cette thèse, qui a été qualifiée de réaliste, trouve son origine dans la pensée d’Aristote qui se sépare de la conception platonicienne. Aristote définit la vérité comme la conformité de la proposition, de ce qui est dit, à la réalité. La proposition est vraie si les faits dont elle rend compte sont tels qu’elle les décrit ; elle est fausse si les faits sont autrement qu’elle ne les décrit.

 

Cette conception de la vérité a traversé toute l’histoire de la philosophie et l’on peut dire que c’est Kant le premier qui l’a profondément contesté. Mais avant de présenter une telle remise en question, nous voudrions montrer comment certains philosophes du 20ème siècle ont pu continuer à défendre cette position. C’est le cas de Russel pour qui toute proposition douée de sens doit, en droit sinon en fait, pouvoir être vérifiée ou infirmée, être dite vraie ou fausse. C’est la correspondance avec un état de choses qui rend une proposition vraie. Le fait que nous n’ayons actuellement aucune possibilité de savoir s’il y a correspondance ou absence de correspondance ne change rien à cette définition logique (répondant au principe du tiers-exclu selon lequel une proposition est soit vraie, soit fausse, mais ne peut pas être autre chose.) Tarski quant à lui pose cette définition à première vue étrange : « A est B » est vraie si et seulement si A est B. Ici, les guillemets ont une importance capitale. « A est B » dénote l’usage d’un métalangage qui permet de parler de la proposition et qui est opposé au langage-objet utilisé pour parler des choses (A est B). La vérité est un prédicat qui appartient au métalangage ; elle est conférée à une proposition lorsque ce que décrit celle-ci est conforme à la réalité.

La vérité-forme

 

« Ils (Galilée, Torriccelli, Stahl) comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans et qu’elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu’elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle ; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. » Kant, Critique de la raison pure.

 

Kant semble être le premier à fournir une alternative à une telle pensée de la vérité-correspondance. Kant se pose la question de savoir comment la science est possible. Ce problème de la possibilité d’une connaissance s’avère plus aigu encore pour la métaphysique en tant que celle-ci prétend atteindre la chose en soi. Kant rejette les théories empiristes de Hume selon lesquelles les principes rationnels de la connaissance (par exemple la causalité) ne serait que des habitudes imprimées en nous par la répétition d’expériences similaires (par exemple l’expérience d’une connexion constante entre un événement A et un événement B qui le suit). Il faut selon Kant distinguer la matière des choses connues de la forme que confère à l’esprit à cette connaissance, forme qui est a priori, c’est-à-dire précède toute expérience. L’esprit, bien loin de recevoir passivement les choses, leur impose une forme, une loi qui est la sienne (ainsi temps et espace ne sont pas des propriétés du monde mais des formes de la sensibilité ; de même pour la cause et l’effet, la causalité étant l’une des douze catégories de l’entendement). Ceci implique que ce que nous connaissons, ce n’est jamais la chose en soi, indépendante de l’esprit que nous connaissons mais les phénomènes, c’est-à-dire la manière dont elles nous apparaissent. Il y a donc nécessairement un relativisme de la connaissance. Tel est le sens de la révolution copernicienne opérée par Kant : la connaissance ne se fonde plus dans l’objet mais dans le sujet. Cependant, ce relativisme ne conduit aucunement à un arbitraire de la connaissance car les lois a priori de l’esprit sont universelles ; c’est pourquoi la science peut être dite vraie (remarquons, que sur le plan spéculatif, les prétentions de la métaphysique sont réduites à néant puisque la chose en soi est insaisissable). La vérité ne repose donc pas dans la matière de la connaissance et donc dans une adéquation à la réalité mais dans l’universalité de la forme de la connaissance.

 

La vérité scientifique

 

« L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique (…) Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit » Bachelard, La formation de l’esprit scientifique.

 

            Cette évocation de la pensée de Kant nous conduit naturellement à traiter de la vérité dans la connaissance scientifique. Intéressons-nous tout d’abord aux mathématiques. Celles-ci se réfèrent à des objets idéaux. Ainsi, la vérité d’un théorème de la géométrie ne se mesure jamais à des figures réelles. Lorsqu’on affirme que la somme des angles d’un triangle est égale à 180°, on ne prétend pas qu’il soit nécessaire qu’une figure tracée sur un tableau doive avoir la somme de ses angles exactement égale à 180° pour qu’on puisse la désigner comme étant un triangle. Une proposition mathématique se révèle vraie lorsqu’elle est le résultat d’une déduction faite à partir d’un système d’axiomes et de propositions déjà démontrées. On peut penser que la thèse de la vérité comme adéquation à la réalité correspond mieux aux sciences expérimentales. En effet, pour qu’une proposition de la physique par exemple puisse être dite vraie, il faut qu’elle soit vérifiée expérimentalement (ou du moins qu’elle résiste à l’épreuve de la falsification). Les sciences expérimentales sont par conséquent dépendantes des faits, de la réalité. Cependant, il faut bien remarquer que pour qu’il y ait une hypothèse à vérifier, il faut nécessairement que cette hypothèse soit une anticipation de la réalité, une interprétation préalable. La somme des expériences passées ne saurait constituer d’elle-même une hypothèse (bien qu’elle puisse en certain cas la susciter) car celle-ci se situe à un tout autre niveau de généralité. De plus, l’objet des théorèmes scientifiques n’est jamais la réalité en soi, l’essence des choses, mais un ensemble de rapports que les choses entretiennent entre elle, rapports qui ne sont rien d’autre que les lois de la nature. De ces remarques, on peut conclure que la vérité scientifique est un construit de l’esprit ; ce n’est pas une description du monde mais bien plutôt une reconstruction de celui-ci (c’est pourquoi il peut exister des théories concurrentes).

 

            Pour Bachelard, la vérité scientifique ne relève ni d’un idéalisme (selon lequel ce que la science ne serait qu’une expression de l’esprit lui-même) ni d’un réalisme (selon lequel la science refléterait immédiatement la réalité). La raison n’est pas immuable ; au contraire elle progresse peu à peu en produisant ou adaptant des concepts qui répondent aux nouvelles expériences. La science est un processus dialectique procédant par critique des théories antérieures et élimination des obstacles épistémologiques. Le véritable ennemi de la science, c’est l’opinion. Pour Piaget, la science échappe à l’alternative du réalisme et de l’idéalisme tout simplement car elle se définit par l’affrontement incessant de ces deux instincts ; si n’existait pas un tel affrontement, alors soit le réel serait inintelligible, soit il serait entièrement dissous dans une prétendue connaissance.

La vérité-utilité

 

« Qu’est-ce donc que la vérité ? Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement haussées, transposées, ornées, et qui, après un long usage, semblent à un peuple fermes, canoniales et contraignantes : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont, des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur empreinte et qui entrent dès lors en considération, non plus comme des pièces de monnaie, mais comme métal. » Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral.

 

            Nietzsche a présenté une théorie tout à fait originale de la vérité. Il pose la question suivante : Pourquoi désirons-nous la vérité plutôt que l’erreur ? Autrement dit, pourquoi la vérité fait-elle l’objet de notre préférence et, plus encore, de notre vénération ? Cette question permet à Nietzsche d’affirmer que la vérité est avant tout une valeur. En ce sens, elle est directement dépendante des nécessités vitales. Si la réalité sensible a le plus souvent été considérée en philosophie comme le domaine de  l’illusion, de l’apparence, de l’erreur, c’est parce que cette réalité était fuyante, mouvante, changeante, qu’elle dépossède l’homme de sa maîtrise sur lui-même et son environnement. Au contraire, les catégories de l’être, de l’identité, de la substance, du durable, permettent à l’homme de reconnaître parmi le divers (le chaos) des sensations des points d’appui autour desquels orienter son action. La connaissance consiste ainsi à ramener le nouveau, le différent à du déjà connu. Mais ceci dévoile que la recherche de la vérité est en réalité une entreprise de falsification du réel consistant à gommer les différences entre les choses, à nier leurs perpétuelles métamorphoses. Ce que l’on appelle vérité n’est donc rien d’autre que l’erreur utile au développement de la vie. De l’utilité que procurait à l’homme un certain jugement, on a, dit Nietzsche, directement conclu à sa vérité. Or, la « réelle » vérité, c’est celle qu’on a toujours voulu ignorer, la vérité du devenir, de l’éternel écoulement des choses qu’évoquait Héraclite, c’est-à-dire la vérité du monde sensible.

 

            On retrouve quelque chose de la pensée nietzschéenne dans le courant philosophique baptisé du nom de pragmatisme et notamment chez James. Pour lui, la vérité n’est pas quelque chose d’inerte à l’égard d’une réalité que la pensée ne ferait que copier. La pensée est indissociable de l’action. Une hypothèse scientifique ne se vérifie que par la réalisation d’une multiplicité d’opérations à la suite desquelles elle pourra être qualifiée de vraie. De plus, pour James, la vérité n’est rien d’autre que ce qui est utile, ce qui est avantageux. Or, l’utilité dépendant du domaine d’expérience, la vérité trouve elle aussi différentes formulations. Une vérité physique, c’est une vérité qui offre la possibilité de prévoir et d’agir de manière optimale. Une vérité psychologique ou intellectuelle, c’est une vérité qui nous procure un sentiment de rationalité, celui-ci n’étant rien d’autre qu’un sentiment de paix ou de repos. Enfin, une vérité religieuse, c’est une vérité qui nous offre un réconfort et nous permet de nous élever au-dessus de notre cas singulier.

L’intuition

 

« Si l'on compare entre elles les définitions de la métaphysique et les conceptions de l'absolu, on s'aperçoit que les philosophes s'accordent, en dépit de leurs divergences apparentes, à distinguer deux manières profondément différentes de connaître une chose. La première implique qu'on tourne autour de cette chose ; la seconde, qu'on entre en elle. La première dépend du point de vue où l'on se place et des symboles par lesquels on s'exprime. La seconde ne se prend d'aucun point de vue et ne s'appuie sur aucun symbole. De la première connaissance on dira qu'elle s'arrête au relatif; de la seconde, là où elle est possible, qu'elle atteint l'absolu. » Bergson, La pensée et le mouvant.

 

            Les théories de la vérité précédemment exposées semblent mettre à mal l’idée d’une vérité-correspondance, d’une vérité définie par sa conformité à la réalité. Néanmoins, cette idée peut être défendue, non plus dans une théorie de la proposition ou de la représentation, mais dans une théorie de l’intuition. Bergson distingue deux modes de connaissance. Le premier mode est l’intelligence qui envisage la chose de l’extérieur. L’intelligence, c’est une faculté pratique, visant l’action sur les choses. Son modèle originel est la fabrication d’outils. En ce sens, elle est directement tournée vers la matière considérée en tant que pur substrat passif de l’activité. L’intelligence fige le réel, en brise la continuité ; étant donné que le réel se définit par la mobilité, l’intelligence ne peut que le méconnaître. L’intuition est le second mode de connaissance ; elle se transporte à l’intérieur de l’objet pour « coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable ». L’intuition est une sympathie par laquelle l’ineffable s’offre dans sa nudité, sa simplicité, une sympathie par laquelle l’esprit acquière la mobilité qui est celle du réelle et atteint par là un absolu.

           

            Husserl, fondateur de la phénoménologie, va lui aussi fonder sa théorie de la vérité sur l’intuition, mais ce, d’une manière toute différente de celle de Bergson. Pour lui, l’intuition n’est en aucun cas une fusion avec l’objet, elle ne s’identifie pas à celui-ci. L’intuition phénoménologique relève du caractère intentionnel de toute pensée ; il n’existe pas de pensée qui ne tende pas vers quelque chose d’autre qu’elle ; la conscience est toujours conscience de… quelque chose. Certes, comme chez Kant, ce qui s’offre à l’intuition, ce n’est qu’un phénomène. Mais ce phénomène, pour Husserl, n’est pas une simple apparence masquant la chose en soi à jamais inaccessible. Dans l’intuition phénoménologique, c’est l’objet lui-même qui est donné (Husserl s’oppose par conséquent aux théories de la représentation : l’objet de ma pensée, ce n’est jamais l’idée d’une chose mais cette chose même).

La vérité et l’existence

 

« L’obnubilation est donc, lorsqu’on la pense à partir de la vérité comme dévoilement ; le caractère de n’être pas dévoilé et, ainsi, la non-vérité originelle, propre à l’essence de la vérité. L’obnubilation de l’étant en totalité ne s’affirme pas comme une conséquence subsidiaire de la connaissance toujours parcellaire de l’étant. L’obnubilation de l’étant en totalité, la non-vérité originelle, est plus ancienne que toute révélation de tel ou tel étant » Heidegger, De l’essence de la vérité.  

 

            Terminons ici en exposant brièvement une conception « existentialiste » de la vérité. Pour Jaspers, une existence singulière est à elle-même sa propre vérité ; la vérité est l’autorévélation de l’existence. Comment alors la vérité peut-elle dépasser ce statut purement privé ? C’est dit Jaspers, la communication, notre rapport aux autres, qui nous dévoile leur vérité, comme la nôtre leur est dévoilée. Il y a de plus, ajoute Jaspers, une tension continuelle vers la Vérité, unique et définitive, qui demeure inaccessible. Heidegger quant à lui pense la relation que l’homme entretient avec la vérité plutôt que l’essence de la vérité en elle-même ; ou mieux encore, il pense que cette essence est inséparable de son rapport au Dasein (l’homme en ses structures existentielles), ce qui ne signifie en aucun cas pour lui que la vérité ne soit qu’un reflet de la subjectivité humaine. Heidegger revient au mot grec désignant la vérité, à savoir aletheia, mot qui signifie littéralement « le fait de ne pas cacher » et que l’on peut encore traduire par dévoilement. C’est en quelque sorte l’Être (la vérité étant toujours vérité de l’Être) qui se dévoile de lui-même à l’homme ; l’homme n’est donc jamais le « créateur » de l’Être et de sa vérité mais plutôt celui qui est en mesure de recueillir cette vérité, d’être « le berger de l’Être ». Enfin, il faut bien comprendre que le dévoilement n’est jamais total, définitif ; le dévoilement ne va pas sans un voilement. L’être se révèle toujours en même temps qu’il se soustrait.

Ce qu’il faut retenir

 

-         La vérité en tant que réalité : Platon distingue le monde sensible, monde de l’apparence, de l’illusion et le monde des Idées intelligibles, monde de la vérité. Les choses sensibles ne sont que des copies très imparfaites des Idées et en ce sens possèdent un degré moindre d’être, de réalité. La vérité est érigée en réalité.

 

-         Idées vraies et réalité : Pour Descartes, les idées claires et distinctes, les idées vraies, représentent immédiatement des natures simples, des réalités. Pour Malebranche, les idées, en tant qu’éternelles et nécessaires ne peuvent être produites par l’esprit ; elles sont vues en Dieu.

 

-         Proposition et réalité : Aristote affirme que la vérité appartient à la proposition, au jugement. Une proposition si ce qu’elle décrit est conforme à la réalité ; elle est fausse dans le cas contraire. Cette conception a été reprise au 20ème siècle par des penseurs tels que Russell et Tarski.

 

-         La vérité-forme : Pour Kant, la connaissance est relative au sujet connaissant. Elle consiste en l’application de formes a priori au divers de la sensation qui permet de structurer celui-ci, de l’organiser, d’en faire une expérience. Cette conception ne conduit aucunement au subjectivisme car les formes de la connaissance sont universelles.

 

-         La vérité scientifique : La science, bien que dépendante des faits, n’est pas une pure et simple description de la réalité. Les hypothèses scientifiques sont des anticipations, des interprétations qui précèdent l’expérience. De plus, la science ne vise pas l’essence des choses, mais leurs rapports mutuels (les lois de la nature). La science est un construit. Elle échappe à la fois à l’idéalisme et au réalisme (elle n’est ni dialogue de l’esprit avec lui-même, ni copie de la réalité)

 

-         La vérité-utilité : Pour Nietzsche, la vérité telle qu’on l’entend habituellement est avant tout une valeur ; elle répond à des nécessités vitales (et en ce sens il est possible qu’elle repose sur des erreurs). En ce sens, ce n’est parce qu’une chose est vraie qu’elle est par la suite utile aux hommes mais au contraire parce qu’elle est utile qu’on la dit vraie. Dans la pensée pragmatiste de James, la vérité est le résultat d’actions et se distingue par son caractère utile, avantageux dans les différents domaines de l’expérience.

 

-         L’intuition : Bergson pose que l’intelligence, en tant qu’elle est fondée sur l’activité première de la fabrication d’outils et donc sur la manipulation d’une matière inerte, passive méconnaît le réel en tant que celui se définit par sa mobilité. Seule l’intuition peut, par sympathie, pénétrer dans l’intimité, l’intériorité des choses. Pour Husserl, la conscience est toujours conscience de quelque chose, elle tend vers autre chose qu’elle. L’intuition phénoménologique ne donne pas l’idée de la chose mais la chose elle-même.

 

-         Vérité et existence ; Jaspers affirme que la vérité est l’autorévélation de l’existence singulière. Quant à la communication, elle nous permet de dépasser notre singularité en nous dévoilant la vérité d’autres existences. Pour Heidegger, la vérité est aletheia, dévoilement de l’Être, celui-ci n’étant jamais définitif en ce qu’il s’accompagne toujours d’un voilement, d’un retrait.

 

Indications bibliographiques

 

Aristote, De l’interprétation ; Bachelard, Le nouvel esprit scientifique ; Bergson, La pensée et le mouvant ; Descartes, Médiations métaphysiques ; Heidegger, De l’essence de la vérité ; James, Pragmatism ; Jaspers, Sur la vérité ; Malebranche, De la recherche de la vérité ; Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral ; Piaget, Introduction à l’épistémologie génétique ; Platon, Phèdre ; Russell, Sens et vérité ; Tarski, La conception sémantique de la vérité.

 

 



04/06/2011
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